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C’est fini ! Je sais maintenant que plus rien ne peut me sauver. Je serai enfermé là, à subir, comme un animal, tiré de ma cellule de temps à autre afin de permettre aux SS instructeurs d’éprouver ma force de résistance. Puis, après avoir peut-être trahi mes chers compagnons de lutte, je serai abattu. [...]
Je ne connaîtrai plus l’émotion des escapades nocturnes sous un ciel constellé d’étoiles avec la lune pour complice, la grande ourse pour guide. [...]
Je n’assisterai pas à la libération de mon pays, à l’effondrement de l’Allemagne, à la reddition de nos ennemis. Au contraire, ils seront les témoins de ma déchéance physique et morale, de ma soumission. Quand ma vue ne suscitera plus leur haine mais leur mépris, triomphants, ils me feront disparaître. [...]
Arrêté ! Mais la vie continue au dehors ! Le soleil brille. Ce soir, mes compagnons feront des opérations aériennes ou maritimes. Les rivières coulent toujours, l’herbe ondule sous le vent, les oiseaux chantent. La trépidante vie parisienne garde son rythme. Les gens circulent dans la rue, lisent le journal, discutent au café.
Mon Dieu ! Que c’est beau la liberté ! Pourquoi m’ont-ils arrêté ?
Mais soudain… Non, c’est impossible dans ce bastion de l’oppression… Un cri… Un chant… Arrogante, combative, puissante, La Marseillaise vient de jaillir, clamée par une multitude de voix de femmes. L’hymne s’élève, submergeant le bâtiment, roulant vers les autres divisions. Un convoi de femmes, quittant Fresnes pour les bagnes nazis de l’Allemagne, traverse notre hall. Frêles, délicates, désarmées, livrées à leurs bourreaux, elles s’en vont vers les pires destins. Mais avant de partir, elles ont voulu nous dire qu’elles ne failliront pas, qu’elles savent, elles aussi, en femmes, souffrir et mourir pour leur patrie. Un grand frisson secoue la prison. Agressives, scandées, les paroles montent, laissant par instants entendre les chiens et les Allemands hurlant à l’unisson. Mais les coups et les morsures sont impuissants. Le chant s’impose plein de défi, de haine et de foi. La colonne s’éloigne. Mais maintenant, c’est de mille poitrines que le chant repris par nous tous explose. De toutes les cellules s’élève l’hymne de liberté, chanté avec une ferveur dont seuls sont capables ceux qui subissent l’oppression. |
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