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Alors s'échafaudaient de mirifiques projets où nous organisions notre vie future. A quatre ou cinq inséparables, avec notre pécule de fin de contrat et nos économies, nous partions pour le Canada ou pour les colonies. Le choix des hémisphères, des méridiens, importait peu. Navigateurs, chasseurs, trappeurs, constructeurs, colons, nous bâtissions, cultivions, colonisions. Notre bréviaire était "La revue maritime et coloniale", nous étions les conquistadors de José Maria de Heredia, qui « regardaient monter dans un ciel ignoré, du fond de l’océan, des étoiles nouvelles »…
Tous issus des années terribles et dévastatrices de la guerre de 1914-1918, nous avions, pour la plupart, un ou plusieurs membres de notre famille disparu, mutilé ou gazé lors de ce gigantesque conflit de quatre années où des millions de malheureux s'étaient entre-tués dans des conditions de misère inhumaine. Nous ne pouvions échapper à l'angoisse provoquée par l'évocation de cette tuerie relativement récente, dont des revues comme l'Illustration nous livraient textes et images. C'est ainsi qu'indépendamment de toute autre influence, nous étions contre la guerre et, sans toutefois verser dans l'antimilitarisme actif, prudemment nous nous livrions à plaisir au jeu d'homonymes :
Faut pacifier, faut désarmer,
Faut pas s'y fier, faut des armées...
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